Qu’est-ce que la clause de conscience des journalistes ?
- cyrillecatoire
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Méconnue du grand public mais pourtant déterminante pour les journalistes, la clause dite de conscience ou de cession a un impact loin d’être anodin lors de rachats de journaux, notamment d’un point de vue financier.
Prenons le temps de comprendre la logique afférente à cette clause, son fonctionnement ainsi que ses conséquences aussi bien pour le journaliste concerné que pour son employeur.
La notion de clause de conscience et ses origines
La clause de conscience ou de cession est celle qui stipule que le salarié peut quitter son employeur, à l'occasion d'un changement significatif d'orientation ou de philosophie de l'entreprise, notamment en cas de cession de l'entreprise, la rupture du contrat étant alors considérée imputable à l'employeur.
Les journalistes disposent d’une telle clause en vertu de la loi, leur contrat de travail n’ayant pas à prévoir une telle clause (C. trav. Art. L. 7112-5).
Créée il y a maintenant près d’un siècle cette clause a vocation à assurer une garantie de l’indépendance morale des journalistes, leur permettant ainsi de pouvoir rompre leur contrat de travail tout en étant indemnisé.
Même si l’on a tendance de parler indistinctement de clause de conscience ou de cession, il faut distinguer en réalité trois cas d’application de cette clause :
La cession du journal ou du périodique ;
La cessation de la publication du journal ou du périodique ;
Le changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique.
La cession du journal
Cas très fréquent, la cession du journal recouvre différente réalité.
A ce titre, la jurisprudence nous permet désormais notamment de considérer que :
La cession n’a pas à s’accompagner d’un changement notable du caractère ou de l’orientation du journal ;
Le rachat d’actions par un actionnaire possédant déjà la moitié du capital, ce rachat lui permettant de prendre le contrôle, est une cession (Cass. soc. 21 juin 1984 n° 81-42.857) ;
Toute perte de contrôle ou prise de contrôle liée à une cession d’actions est une cession ;
La mise en location gérance d’un journal ne constitue par une cession (Cass. soc. 29 mai 1991 n° 87-45.677).
Il convient donc de bien analyser chaque situation pour apprécier si l’opération juridique réalisée à l’égard d’un journal constitue ou non une cession susceptible de se prévaloir de la clause de cession.
La cessation de la publication du journal
Cas plus simple, la cessation de publication concerne la situation d’un journal ou d’un périodique mettant fi à une publication sur laquelle travaille un journaliste.
Attention néanmoins, la jurisprudence étant relativement exigeante en la matière et considérant que :
une interruption momentanée ne constitue pas une cessation (Cass. soc. 8 juillet 1997 n° 94-43.881) ;
le passage de trois suppléments périodiques à un supplément périodique unique ne constitue par une cessation ;
lorsqu’un salarié contribue à plusieurs publications chez un même éditeur, la cessation d’une seule publication ne permet pas de bénéficier de la clause de cession.
Le changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal
Cas le plus emblématique, le changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal constitue ce que l’on appelle la clause de conscience.
C’est au journaliste de démontrer l’existence d’un changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal, créant une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa conscience ou à ses intérêts moraux.
Mais qu’est-ce qu’un changement notable ?
Quelques exemples nous ont été données par la jurisprudence :
cas d’un changement de tendance politique (Cass. soc. 9 novembre 1961 n° 59-40.986) ;
départ simultané du directeur général et du directeur politique suite à la concentration des pouvoirs entre les mains du propriétaire ;
nouvelle orientation d’un journal vers du sensationnel ou du scandale (Cass. soc. 17 avril 1996 n° 93-42.409) ;
ordre de réaliser de la promotion rédactionnelle au profit d’un annonceur.
Le changement notable est ainsi de loin le cas le plus subtil et le plus complexe à mettre en œuvre par un journaliste.
Dans quel délai doit être soulevée la clause ?
Aucun délai n’étant prévu par la loi, les journalistes sont libres de mettre en œuvre la clause dès lors que la rupture du contrat de travail est motivée par l’une des circonstances évoquées ci-avant (Cass. soc. 16 février 2012 n° 10-18.525).
Il est bien évident que plus le temps passera plus il sera difficile d’établir un lien entre la rupture et un motif prévu par la loi.
La jurisprudence a admis l’invocation d’une clause deux ans après la cession, ce qui montre que le délai peut être au final assez long.
Si la demande de rupture du contrat de travail est équivoque (des éléments laissent penser que la véritable raison du départ du journaliste est toute autre), le juge peut écarter l’application de la clause de cession ou de conscience.
La conséquence de l’application de clause de conscience
A supposer que la clause de conscience soit valablement invoquée, le journaliste concerné sera alors considéré comme ayant vu son contrat de travail rompu du fait de son employeur et bénéficiera ainsi :
de l’indemnité de licenciement (1 mois de salaire par année d’ancienneté) ;
du chômage le cas échéant (Règlement d'assurance chômage annexé au décret 2019-797 du 26 juillet 2019, art. 2 § 2, n).
Et ce alors même que le journaliste est à l’initiative de la rupture.
Aucun préavis n’est dû par contre par l’employeur, ce dernier n’ayant pas non plus à mettre en œuvre une procédure de licenciement.
Seul le journaliste peut invoquer la clause de cession ou de conscience, et aucunement les syndicats professionnels.
Le coût pour l’employeur peut ainsi s’avérer élevé lors du rachat d’un journal, les journalistes n’ayant pas se justifier sur le recours à la clause de conscience.



